Note de lecture
"Un peu plus ample un peu moins moche", Grégoire Damon
par Adrien Lafille
Lire un peu plus ample un peu moins moche, de Grégoire Damon, c’est peut-être se retrouver face à une histoire de filiation. La filiation touche le qui généalogique mais rarement le quoi, les choses. Ce quoi, dans le cas des villes moyennes, c’est le domaine de l’indifférencié. C’est un air de partout et de nulle part à la fois, des choses similaires qui se répètent et qui varient si peu, des lieux situés mais sans situation géographique bien nette.
Un texte est traversé par une matière, il doit l’être, mais cette matière, quelle est sa filiation ? Ici c’est une situation non située, et la matière avec laquelle Grégoire Damon écrit est cette situation, pas par choix mais par nécessité. Il n’écrit pas sur les villes moyennes, quelle erreur que d’écrire sur les choses, mais il écrit avec les villes moyennes, avec leur matière, ce qui se voit mais aussi les gestes, violents parfois, et qui parfois le sont toujours. Il y a aussi les oreilles qui entendent, et les phrases entendues sont une espèce de parole-bruit, des paroles entendues qui n’ont plus besoin de l’être, parce qu’elles sont répétées, et répétées encore. Un bruit de moteur, on ne s’arrête pas en disant, attendez je me concentre pour reconnaître ce bruit, on le reconnaît avant d’en avoir conscience, c’est pareil pour ce parole-bruit qui fait partie de la matière d’un peu plus ample un peu moins moche.
Impossible de dire quelle parole appartient à qui, les phrases ne forment plus des idiomes tant elles n’appartiennent à aucun lieu, et à la fois à tant de lieux. Et les individus, et leur intérieur, ce qu’ils échangent c’est de la salive, mais l’illusion de la salive c’est de croire qu’elle est interne alors qu’elle est tout à fait externe, aucune intériorité n’est propulsée en dehors de chacun, tout est pure extériorité. Chacun n’est qu’un personnage calqué sur la ville moyenne, chaque texte de ce livre est une sorte de scène, où ces personnages traversés par la parole-bruit sont aussi les passeurs de cette parole indifférenciée, parole-bruit malheureusement tant évitée par les livres.
AL