Note de lecture
"Cas soc'", Jérôme Bertin
par Grégoire Damon
On retourne à Bertin comme on retourne à Star wars, James Bond, Mötörhead ; on y fait un tour comme dans Brassens, ACDC : parce qu’on sait qu’on va y trouver un style, un flow familier, une patte reconnaissable.
Dans Cas Soc’ l’artiste maudit nous fait voir du pays : Marseille, Dignes-les-bains, sa propre baignoire. Où qu’il soit, l’homo bertinensis cite Bukowski, Céline, Kerouac. Il a l’allitération comme péché mignon, l’image comme seule voie de recours à la médiocrité ambiante – médiocrité, soit dit en passant, que le poète se plaît à touiller à doigts nus avec une joie gourmande.
Le monde est ce qu’il est, mais il y a quand même des choses qui sauvent : un beau village, aperçu lors d’une pause-clope, où « la vie ressemble à une vraie », les chattes, figurées (« Touche-toi encore, lèche ma langue avec ta fente. (…) Je rentre dans elle comme dans un temple, une tempête d’encore qui font gicler mon amour. Dors ma chérie, dans mes bras apocryphes ») ou propres (« La femme de Q, mon éditeur, dit que si l’on a pas fait le tour de l’homme, on a fait celui du chat. Cette idiote ne connait pas l’intelligence et la complexité de Bardamu, capable de m’apporter sa bouboule lorsqu’elle veut faire un peu de sport, de taper à la fenêtre avec sa petite patte lorsqu’elle veut se mettre au chaud. »). Il y a aussi la connivence de principe avec ceux et celles qui sont assez calées en foot pour comprendre une phrase telle que : « Marcello est purement et simplement le meilleur latéral au monde. » Et il y a enfin le potentiel érotique des femmes de plus de soixante ans, surtout les plus amochées : « C. était si belle il y a encore quelques mois. La maladie lui a bouffé la gueule, le corps. Le lithium est une espèce de pendant de la chirurgie esthétique, il dé- forme jusqu’à rendre difforme. »
Et entre moments abattement et coups d’exaltation, un vrai artisanat de l’esquisse, une aisance dans le portrait-minute, surtout quand il s’agit de croquer les dingues, les paumés ou les délirants : « Elle ressemble à une collégienne obèse et malade. Un véritable freak de chair et de chair. Elle est perchée sur de larges jambons, engoncée dans une robe blanche à fleurs bleues. Elle entame un monologue saccadé comme une injure de répétition. Elle commence par les chômeurs qui prennent le soleil au lieu de prendre la pioche. (…) »
Ne nous laissons pas totalement crever, camarades, il y a un salut dans la punchline. Sur ce plan-là, Bertin reste prodigue et s’amuse, de petites inversions et détournements (un bon vieux « comme un oiseau dans son bocal », ça fait toujours du bien par ou sa passe) en vraies fulgurances : « Vouloir baiser des gosses thaïlandais et se payer des Audi 100 pour rouler sur les pauvres n’est pas un truc de dingue, seulement un truc de banquier. »
Difficile de ne pas être d’accord.